COQ DE COMBAT, volume 1
de Izo Hashimoto et Akio Tanaka, 1998
Édition Akata Delcourt (seinen / pour public averti)
Publication japonaise: Futabasha
Édition française: 11 volumes parus (sur 19 parus au Japon)
Sens de lecture japonais
12.95$
Histoire ::
Le premier tome de COQ DE COMBAT s'ouvre sur une scène cauchemardesque: un jeune homme, couteau à la main, se tient debout au milieu d'un salon où gisent au sol deux cadavres grièvement charcutés. Au fond de la salle une jeune femme se recroquevile contre un mur, n'osant regarder la scène. La séquence suivante montre un camion sillonant à travers un très beau paysage de province japonaise. Le véhicule s'arrête devant une maison de redressement pour jeunes délinquants et on fait sortir trois jeunes hommes, dont Ryo Narushima, le jeune homme frêle que l'on reconnaît de la scène précédente.
En fait, COQ DE COMBAT raconte la descente aux enfers de ce jeune homme de seize ans, parmis les meilleurs élèves d'un lycée des plus reconnus du Japon, qui après avoir un jour pété les plombs et sous la pression insoutenable tué sauvagement ses deux géniteurs, se ramasse dans un milieu hostile où toute la laideur de l'âme humaine lui sera révélée sans retenue. Il faut comprendre que le cas de Ryo est inconcevable dans la société japonaise (où le respect des parents et ancêtres est absolu), et le jeune homme -n'ayant vraiment pas la bine ni le profil d'un criminel- se voit vite devenir la proie de tous les voyous endurcis de la «prison» (elle n'est pas appelée ainsi, mais c'est tout comme). Railleries, intimidation, viols: aucune forme de violence ne lui sera éparnée. Pire encore, c'est que la direction de la maison de correction encourage Ryo à se laisser faire et à «devenir une victime lui aussi». Alors que Ryo ne se rattache à la vie que par la seule pensée qu'il a épargné sa soeur lors de sa rage meurtrière, celle-ci lui rend visite pour lui annoncer que par sa faute elle a été déshéritée et qu'elle se tourne vers la prostitution pour survivre...
Plus mort que vivant, Ryo est alors placé dans un cours de karaté donné au centre de réhabilitation. Mauvais, gaffeur, tous se demandent qu'est-ce qu'il fait dans cette classe, y compris lui-même, jusqu'à ce que l'enseignant le convainque que son poing est habité «par un dieu ou un démon»... Le karaté devindra donc pour Ryo le seul intérêt qui le rattache à la vie.
Critique ::
COQ DE COMBAT est vraiment un manga «coup de poing» (sans jeu de mots). C'est un manga très dur (et à ne vraiment pas mettre entre les mains de tous, comme nous l'en averti la couverture française) mais d'une violence qui rappelle un peu celle de l'Orange Mécanique ou de Akira dans le sens qu'elle sert à critiquer un aspect de la société (précisement la société japonaise dans le cas de COQ DE COMBAT) : le système de l'honneur (qui n'a plus de sens dans un monde moderne), l'avenir réservé aux jeunes délinquants et peut-être l'essence même de l'âme japonaise...
Les mangas où la critique est présente et complexe (on s'attaque plus qu'à un aspect et en profondeur) sont rares dans le monde de l'édition française et Akata a pris une chance en choisissant de traduire ce titre qui était certainement hétéroclite dans ce milieu où shojos rose bonbon, fantasy et comédies à la Love Hina se côtoient joyeusement. Mais c'est une vraie réussite. L'histoire qui nous est présentée dans ce premier tome est très prenante: nous ne pouvons pas réellement nous en déconnecter complètement à la lecture (même si on le voudrait, lors de certains passages particulièrement durs). La psychologie de Ryo est bien organisée, on ne sent pas qu'il est une coquille vide et on nous laisse à la fois un peu de mystère par rapport à sa personne, surtout par rapport à ce qu'il pense de son crime (on pourrait même vraisemblablement suposer qu'il est schizophrène). Les autres personnages sont là pour faire évoluer Ryo, mais on sent bien aussi leur caractère, leurs mystères.
La critique est bien passée, sans être un poil moralisatrice et toujours relativement subtile (pas de personnages qui font de longs monologues intérieurs et qui nous donnent une opinion toute faite sur la situation). Les thèmes qu'on commence à effleurer dans ce premier tome sont très intéressants: la culpabilité, la fragilité de notre position sociale et de la vie en général...
Pour ce qu'il est du karaté: COQ DE COMBAT n'est pas à proprement parler un manga de sport. Dans ce premier tome, le karaté est présenté comme le catalyseur de l'énergie de Ryo, comme la chose qui va le sauver: par la façon dont c'est présenté, le fait que le prof pique sa curiosité avec une petite phrase, Ryo aurait très bien pu se rattacher à une autre chose, sport ou non: on n'assiste pas à la montée d'un Rocky qui «peut si il le veut vraiment». Les scènes de combats ne sont pas trop longues et sont présentées en plans d'ensemble, contrairement aux mangas d'arts martiaux traditionnels où l'on fait beaucoup de gros plans pour améliorer la dynamique. Le fait que ce soit le karaté qui soit l'élément choisi par l'auteur, en tout cas pour se premier tome, rentre bien aussi dans l'idée de violence versus défense qu'explore le manga (quand Ryo parle de l'assassinat de ses parents, il dit toujours assez nébuleusement qu'il le fallait «pour sauver sa propre vie/personnalité»).
Le dessin est aussi très bien: ici enfin, les asiatiques ont l'air asiatique. Les traits des visages sont très expressifs, autant que le positionnement des corps. Le rythme est bien construit et il n'y a pas de scènes inutiles (si elles ne sont pas utiles à proprement dire pour le récit, elles le sont pour le développement du personnage).
J'ai bien de la difficulté à trouver des points faibles au premier tome de Coq de combat, quoi que je suis certaine que c'est un manga qui ne plaira pas à tous, avant tout parce qu'il est très très dur et direct. À ne pas mettre entre les mains de votre petite soeur/petit frère, donc, mais un très bon titre pour les fanas de mangas moins conventionnels.
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