LE SOMMET DES DIEUX, tome 1
de Jirô Taniguchi, selon un roman de Yumemakura Baku
Édition Kana, collection «Made in Japan» (seinen)
Prépublication japonaise: Business Jump (Shueisha)
Édition française: 5 tomes (édition complétée)
Sens de lecture japonais
31,95$
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Histoire ::
Nous sommes en 1993, à Katmandou, ville proche de l'Everest. Fukamachi, alpiniste qui vient de terminer une expédition dont cette fois il était membre en qualité de photographe, erre dans la ville, traumatisé par les clichés qu'il a pris de deux autres alpinistes glissant vers leur mort le long d'une parois à pic. En visitant des boutiques, il tombe sur un très vieil appareil photo ayant peut-être appartenu à Odell, le photographe de la toute première expédition sur le Mont Everest, échouée en 1924. C'est par divers hasards liés à cette caméra qu'il fera la rencontre de Habu Jôji, un célèbre alpiniste japonais dont on n'avait pas entendu parler depuis très longtemps...
Critique ::
Il est quasiment impossible pour un fana de mangas de n'avoir jamais au moins entendu parler de Jirô Taniguchi, telle sa réputation de maître du manga humaniste est ancrée autant au Japon que dans les pays francophones qui ont eu la chance de connaître ses oeuvres précédentes (L’HOMME QUI MARCHE, LE JOURNAL DE MON PÈRE, QUARTIER LOINTAIN, AU TEMPS DE BOTCHAN ainsi que plusieurs autres dont des co-réalisations avec des auteurs européens). Le mangaka ne cesse de gagner des prix prestigieux autant au Japon qu'en France, et cela est bien justifié par son grand talent. Les paysages grandioses du SOMMET DES DIEUX ont de quoi qui nous rappelle le regard plein de simplicité et d'amour que Taniguchi pose sur des petits éléments de la nature dans ses oeuvres précédentes.
Il faut cependant dire que Taniguchi ne plaira pas complètement à tous les fans inconditionnels de mangas, telle son influence par la bédé franco-belge est forte: non seulement il met en images des récits de style peu usité dans le milieu du manga (LE SOMMET DES DIEUX est bien le premier manga -- dans le panorama français faut-il préciser-- à parler d'alpinisme), il utilise aussi une narration à la troisième personne (par encadré) très romanesque et ayant une importance jamais donnée auparavant dans un manga publié par un éditeur francophone. Tout est donc très loin du manga comme nous le connaissons (à part le dessin, mais encore...), ce qui peut être pénible pour le lecteur avide du style «manga», justement: en lisant LE SOMMET DES DIEUX, on a plutôt l'impression de lire une bédé franco-belge que japonaise. Donc frustrant, pour certains...
Le dessin pour sa part n'est pas le «gros yeux, petite bouche» avec des cases «chibi» comme on est habitué de retrouver dans la grosse majorité des mangas (même sérieux), mais ce n'est pas non plus un style inconnu pour les lecteurs de mangas. Disons qu'il se rattache plutôt à celui réaliste de maîtres comme Miyazaki ou encore Otomo (même si Taniguchi n'a été le disciple d'aucun d'entre eux). Les paysages sont magnifiques, grandioses. Les personnages sont pour leur part extrêmement expressifs. La touche personnelle de Taniguchi se retrouve surtout en fait dans les corps des personnages, très massifs, ce qui lui a déjà été reproché mais qui colle ici bien au récit (je m'imagine que des alpinistes ultra-maigrichons seraient assez incroyables).
Le récit est intéressant, il pique notre curiosité et nous avons vraiment l'impression de découvrir les éléments au fil de «l'enquête» du personnage principal. Je dois cependant avouer avoir été tapée à certains moments par la narration à la troisième personne qui fini par prendre trop de place à mon goût (elle explique parfois des choses qui auraient gagné à être illustrées par l'image), dans un neuvième art où priorité devrait être accordée à l'image. Pour les émotions, on est ou on n'est pas touché par certaines passes plus dramatiques, mais force est de dire qu'on y retrouve toujours une certaine intensité.
LE SOMMET DES DIEUX nous présente une atmosphére nouvelle, que nous nous voulons d'explorer, peut-être même avec la même passion que celle de Habu Jôji qui ne peut cesser de porter ses yeux vers l'immense montagne. À noter d'ailleurs que le manga en tant qu'objet est une «montagne»: 170x240 mm, 318 pages bien épaisses et six planches glacées en couleur. En bonus un texte de Yumemakura Baku sur l'adaptation de son roman, un texte poétique de Jirô Taniguchi et deux pages de bibliographie de Taniguchi. Aussi bien avertir que le prix élevé est inévitable...
Commentaires::