Ayako
de Osamu Tezuka, 1973
Édition Akata/Delcourt (Drame, seinen)
Publication japonaise: Daitosha
Édition française en 3 tomes (édition terminée)
Sens de lecture japonais
13$
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Histoire ::
En janvier 1949, Jiro Tengé, ayant été fait prisonnier par les Américains pendant la guerre puis devenu espion à leur compte pour sauver sa vie, revient dans son village natal où sa famille, les Tengé, de riches propriétaires terriens règnant sur la place depuis plusieurs centaines d'années, l'attendent avec honte et déshonneur puisqu'il n'est pas mort pour la patrie. Or l'histoire n'est pas celle de Jiro. C'est celle de Ayako, sa jeune soeur dont il ne doutait pas de l'existence. Ayako a quatre ans, elle est mignonne et réservée et Jiro la voit pour la première fois. Il apprendra bien vite que la fillette n'est pas réellement sa "soeur", mais le fruit d'une coucherie honteuse, un secret parmi tant d'autres attrocités que la famille scelle dans le silence...
Critique ::
Ayako, je ne peux le dire autrement, est un manga troublant et même, n'ayons pas peur des mots, traumatisant. C'est un manga noir, étouffant, sur la soumission et le pouvoir. En fait je ne peux dire plus que ces simples mots: c'est un chef-d'oeuvre.
D'abord, il y a la narration. Tezuka a un style très clair, où tout est bien expliqué, où l'on prend le temps de développer autant que ce l'est nécessaire à la compréhension du lecteur. Il y a beaucoup de narration à la troisième personne, comparé aux mangas habituels, ce qui donne parfois un style très littéraire à l'oeuvre. Il faut dire aussi que tout se base sur une toile de fond historique: plusieurs personnes et évènements mentionnés dans le manga sont réels, alors que d'autres sont à peine modifiés. Ainsi on se retrouve en plein Japon de fin de guerre, la «période de brouillard» japonaise; il est très possible de se demander si la famille Tengé n'est pas en un sens une métaphore pour le climat politico-social du pays déboussolé et rampant qu'est le Japon à la fin de la guerre.
Côté dessin, c'est bien sûr Tezuka: certains aiment beaucoup sont style, d'autres le trouvent vieillot et difficilement accessible de nos jours. Il est certain que ça prend un temps d'adaptation: on en est au début des mangas tels qu'on les connait et donc le dessin n’a pas pris la forme aussi travaillé qu’il a actuellement. Or Tezuka a une façon de jouer avec la lumière qui est très intéressante. Il joue beaucoup avec les contrastes du noir et du blanc, l'ombre et la lumière de l'être humain, de manière très expressionniste.
Les personnages de Ayako sont très complexes et profondément humains (pas nécessairement dans le sens positif), ils sont loin d'être soit "bons" ou "méchants": ils ont leurs troubles, leurs convictions, leurs comportements... Certains iront jusqu'au fond (de la cruauté?) pour mener à terme leur projet, tout en prétendant croire à l'inaltérabilité du destin. Et en fait le seul personnage qui sera véritablement victime du Destin sera Ayako, la petite fille née l'année où la guerre commençait...
Ayako est un manga qui nous fait entrer au sein d'une famille effroyable et sans morale et qui ne nous laisse définitivement pas indifférent. Bien sûr, ce n'est pas quelque chose à lire si on veut rigoler, mais c'est un manga avec une intrigue complexe et imprévisible qui vous fera vous poser beaucoup de questions sur la moralité... et l'immoralité. À découvrir, autant pour les fans de Tezuka que pour ceux qui veulent le découvrir.
Commentaires::